La réalisatrice nous montre deux aspects de la Turquie actuelle, à la fois moderne dont l'illustration symbolique dans le film est Istanbul, et d'un autre côté cette Turquie rural encore dominé par la Tradition. Mais s'arrêter à un schéma aussi tranché serait trop facile, car en nous montrant comment ces jeunes filles étaient libres à leur début et la tournure que vont prendre les évènements, Deniz Gamze Ergüven met en lumière à travers cette histoire la situation actuelle de la Turquie. C'est la montée de l'intégrisme dans son pays que la réalisatrice dénonce et ce qui arrive à ces sœurs semble être un exemple de ce dont sont à nouveau victime les femmes en Turquie. Elles, qui pourtant avaient acquis de nombreux droits souvent même avant beaucoup de pays occidentaux ( doit-on rappeler que les femmes turcs ont eu le droit de vote en 1935 soit 10 ans avant les Française?) et vivaient dans une société qui avait chercher à être égalitaire au niveau de la loi depuis le début du XXème siècle, se retrouve à devoir lutter pour maintenir leur droit fondamentaux; ce qui commence à se révéler difficile dans une société de plus en plus conservatrice dont le symbole même est le gouvernement néo-islamiste de l'AKP au pouvoir depuis 13 ans et actuellement dirigé depuis 2014 par un certain Erdogan.
Pour brosser un portrait rapide du personnage rappelons que Recep Tayyip Erdogan est du genre à comparer l'avortement à un "crime contre l'Humanité", à déclarer que "la seule carrière pour une femme est de faire des enfants" et que évidemment il considère l'égalité homme-femme "contre-nature". Et bien sûr tout ceci au nom de la Religion car comme nous le savons si bien la Religion est toujours prétexte à tout et s'accommode à toutes les idéologies.
Dénonciation du mariage forcé, de la montée de l'intégrisme, et de manière subtile, la réalisatrice de Mustang va beaucoup plus loin dans sa critique virulente de la société turc. Deniz Gamze Ergüven montre dans un premier temps que vouloir condamner la sexualité ne sert à rien puisque les jeunes trouvent toujours un moyen de contourner l'interdit et passe s'il le faut par d'autres pratiques sexuelles, qui permettent aux jeunes filles d'assurer leur virginité. Ainsi ironiquement même la coutume du drap taché de sang au lendemain de la première nuit noce, gage de la virginité de la jeune marié au moment de l'acte ne prouve rien, d'autant plus que l'hymen ne se déchire pas toujours et toutes ne saignent pas comme le découvre l'une des sœurs. C'est ici l'hypocrisie d'une société qui se veut puritaine qui est montré. Hypocrisie qui peut aller très loin, car ces même hommes qui vont condamner férocement la sexualité et qui veulent absolument maintenir les femmes dans la tradition, se révèle finalement ceux prêt à tout pour assouvir leur propre désir sexuelle et en ayant ainsi recours au viol. Le viol, la pédophilie de l'oncle sur deux de ses nièces abordé de manière implicite, va pousser la première sœur victime de son oncle au suicide. Et le silence, le silence d'une grand-mère qui sait les actes de son fils mais se contente de le réprimander quand celui-ci réitère sur l'avant dernière des sœurs qui vient à peine d'entrer dans la puberté. Le silence des jeunes filles traumatisée et puis toujours l'hypocrisie de la société.
La réalisatrice soulève le paradoxe de la société turc dirigé par un gouvernement qui ne cesse de prôner une morale religieuse mais qui depuis son arrivée au pouvoir a vu augmenter entre 2002 et 2009 de 1400% les meurtres commis sur des femmes, et à chaque fois l'agresseur fais parti de l'entourage directe ou indirecte de la femme. Habituée à ces faits divers, l'opinion publique restait passive, puis un sursaut national. En février 2015, suite au viol et meurtre d'une jeune étudiante, la Turquie semble se réveiller et se rendre compte de l'ampleur du phénomène. De nombreux turcs expriment alors leur indignation lors de marches de soutien dans les grandes villes. A Istanbul certains hommes vont même jusqu'à défiler en jupe. Le sursaut national ne retombe pas à plat, la question féminine un thème récurent au sein du débat intellectuel turc au début du siècle dernier ( un article intéressant sur "la femme turque dans son parcours émancipatoire de l'Empire Ottoman à la République" http://cemoti.revues.org/556 sur ce site ) retrouve sa place centrale. On se questionne même sur le message transmis par les séries mélodramatiques turcs où il n'est par rare que le viol de la femme soit au centre de l'intrigue. Ainsi dans la série Fatmagül'ün Suçu Ne? ou en français Quel est le crime de Fatmagül?, l'histoire s'ouvre sur le viol collectif de l'héroïne qui va être mariée à l'un des violeurs et finira par tomber amoureuse de son agresseur...sans commentaire.
Mustang aussi à sa manière est le reflet de cette indignation, l'indignation d'une réalisatrice, d'une femme, d'une turque. En cela, ce film est encore une fois humain. La fin du film qui montre la possibilité d'un nouveau départ est révélateur de l'amour de la réalisatrice pour son pays et sa foi en la capacité de la société turc de se réparer, et de progresser. Et cela passe bien sûr dans un premier temps par la prise de conscience et l'acceptation des plaies dont elle est recouverte.
Les turcs éveillés n'ont plus l'intention de se rendormir, l'échec aux élections législatives du parti islamiste au pouvoir depuis 13 ans l'AKP le 7juin dernier en est encore un exemple, et vient mettre un frein aux ambitions de pouvoir absolu envisagé par Erdogan.
Belva
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