lundi 28 décembre 2015

Sourires de Loup de Zadie Smith


Sourires de Loup ou plutôt White Teeth dans sa version originale, ce fut d'abord une rencontre, dans les rayons de littérature anglophone du C.D.I de mon lycée.  Une de ces rencontres que seul le pur et heureux hasard est capable d'orchestrer, de celles qui laissent présager le point de départ d'une nouvelle complicité littéraire.
Sourires de Loup c'est un roman dans tout ce que le genre romanesque peut offrir de plus sublime. Une fresque de personnages certes limitée mais avec des personnages tous plus riches et singuliers les uns que les autres. Il n'y a pas de personnage principal à proprement dit dans ce roman ni d'intrigue particulière et c'est peut-être ce qui le rend particulièrement réaliste. La narratrice nous raconte à la manière d'une fable, l'histoire de deux familles vivant dans les quartiers multiculturels et populaires du nord-ouest londonien.
 Les Jones et Iqbal liés par leur patriarche respectif:Archie Jones, anglais "pur souche" des classes populaires et Samad Iqbal, bengali, tout deux meilleurs amis depuis qu'ils ont fait la 2nd guerre mondial ensemble. Archie alors déjà dans la quarantaine, épouse après s'être fait quitté par sa femme (et une tentaive de suicide ratée) Clara Bowden une jeune jamaicaïne de 19 ans. De son coté, Samad avait déjà épousé Alsana une jeune fille d'une bonne famille bengali à peine plus âgé que Clara . De ces unions désenchantées sont nés la même année du côté des Jones une fille nommée Irie, et du côté des Iqbal des jumeaux garçons nommés Magid et Millat.
Irie métisse, deviendra une adolescente complexée par ses rondeurs et ses caractéristiques "afros". Magid jeune prodige scolaire renvoyé par son père au Bengladesh pour échapper à cette "terre corrompue", reviendra en Angleterre plus occidental que jamais;  tandis que son frère Millat le rebelle séducteur, lui se tournera vers le fondamentalisme religieux. D'autres personnages viennent compléter ce tableau déjà haut en couleur comme Hortense la grand-mère de Irié témoin de Jéhova qui attend, déterminée, le jour du jugement dernier ou encore le couple des Chalfen, des intellectuels bobo mais bourrés de préjugés.
Les personnages sont certes singuliers et peuvent même paraître loufoques, mais c'est ce qui leur permet d'être aussi "vrais". Zadie Smith n'enferme pas ses personnages dans le clichés bien pensant des "immigrés" travailleurs, qui subissent un système, mais qui ne se découragent jamais car ils ont une famille à nourrir voyez-vous. Point de paternalisme et encore moins de condescendance envers ses personnages. Au contraire, le narrateur n'hésite pas à manier l'ironie, et personne y  échappe.  Loin de vouloir nous montrer que les immigrés sont "bons-gentils-innocents", l'auteur met en lumière la complexité de leurs personnalités...Bref ce sont des êtres humains.
Sincèrement, c'est le premier roman que je lis, où les personnages de couleurs me semblent simplement humain. Non pas des héros qui par delà la souffrance continuent à lutter et à espérer, mais des êtres humains avec leurs doutes, leurs défauts, leurs lâchetés, leurs joie, leurs peines... Dire que il m'aura fallu lire cette œuvre de Zadie Smith pour réaliser pleinement à quel point dans les romans (et même au cinéma), la psychologie des personnages des gens de couleurs est en général très limitée où conforme à des schémas qui répondent à des préjugés culturels et raciaux.

"Heureux, quoi! Et chaque journée qui passe n'est pas une foutue bataille entre ce qu'ils sont et ce qu'ils devraient être, ou ce qu'ils ont été et ce qu'ils seront" cette phrase de Irie dans un des dialogues du chapitre 19 résume fort bien le thème majeur de ce roman: l'Identité.
L'auteur soulève avec finesse et ironie le problème de l'identité au sein de l'immigration 1ère et 2ème génération. Comment allier intégration et origines? Chez les Iqbal la disproportion entre ce qu'ils devraient être et ce qu'ils sont est source d'un profond malaise identitaire chez le père et l'un des fils. Le père, Samad se considère comme un bon musulman très attaché à ses valeurs culturels, pourtant tout le roman va nous montrer comment en réalité Samad en plus d'être un mauvais père, succombe à des tentations qui sont à l'opposé de l'image puritaine qu'il veut se donner. Rongé par la culpabilité, toute la vie de cet homme semble se résumer en des tentatives foireuses de rachat de ses fautes auprès de Dieu. L'obstacle entre lui et Dieu est l'Occident. Tout est de la faute de l'Occident qui le détourne de sa foi et de sa culture.
Samad voudrait être authentique or il ne l'est plus ou plutôt, à mon avis, ne l'a jamais été.  Car, avait-il conscience d'être authentique quand il vivait au Bengladesh? Cet idéal de l'authenticité est possible seulement chez ceux qui ont émigré. Ce que Samad n'accepte pas en réalité c'est d'avoir changé, alors il s'efforce de se rattacher vigoureusement à une identité fixe comme si c'était une bouée de secours.
L'idéal d'authenticité est aussi présent chez son fils Millat, symbole de la 2ème génération, celle dont la transmission culturelle a souvent été défaillante. La crise identitaire chez Millat réside dans le fait qu'il croit ne pas avoir d'identité, il ne se sent pas "assez" ni du côté de ses origines ni du côté de son pays de naissance. Le "devrait-être" ne se trouve pas comme chez son père dans un passé source de nostalgie, le devrait-être chez Millat est chimérique. C'est un devrait-être qu'il va  construire en se tournant vers le fondamentalisme religieux. La religion n'est alors plus une question de spiritualité mais un moyen de pouvoir s'identifier.
Je me suis concentrée sur ces deux personnages dont la tension psychologique m'a le plus touché  mais tous les personnages et même les blancs apporte leur part d'élément sur cette question de l'identité. On apprends à connaître les personnages pas seulement grâce à l'omniscience du narrateur mais aussi par tout le jeu de miroir instauré par l'auteur. Chaque personnage est vu à un moment par le prisme du regard d'un autre, ce qui nous permet de percevoir de nouveaux aspects de sa personnalité.

Sourires de Loup est mon premier roman appartenant au genre de la littérature migrante, cette littérature qui traite de sujets propre à l'immigration. Je me suis reconnue dans beaucoup des problématiques abordées, la transculturation, l'identité, l'authenticité, l'intégration... Je suis heureuse de l'avoir lu à 17 ans à une période de ma vie où j'ai pris conscience de l'importance de ces problématiques dans mon développement personnel, mais je me dis que j'aurais encore plus adorer avoir l'occasion de lire des romans de ce genre  au début de mon adolescence.
En faisant des recherches sur Zadie Smith (alias ma nouvelle icône au côté de Chimamanda  Ngozi Adichie), je suis tombée sur un article de Slate nommé "Pourquoi la France n'a-t-elle pas (encore) produite sa Zadie Smith?"(http://www.slate.fr/story/86597/pourquoi-france-zadie-smith), la question est intéressante mais l'article a tourné autour d'une réponse sans finalement en donner une convenable.
Si la littérature migrante est si peu connue en France et possède si peu d'écrivains (il doit y en avoir mais je serais incapable de vous en citer un reconnu) c'est tout d'abord parceque bien qu'il y ait un public concerné, ce dernier n'est pas au courant qu'une telle littérature puisse exister et ce n'est pas étonnant. Pourquoi? Concrètement avec le modèle assimilationniste de notre pays, la voix des immigrés est muselée. Nous sommes tous Français donc à quoi bon étaler sur le papier des considérations liée à notre vécu personnel.
 Comment voulez-vous produire une Zadie Smith quand la question de l'identité dans ce pays, se résume à vouloir savoir quels devraient être les caractéristiques d'un Français digne de ce nom?
Mais comme le "encore" de la question le laisse supposer, il n'est pas impossible que un roman d'un genre similaire puisse enfin avoir une ampleur considérable en France. Par ampleur considérable j'entends pas lu que par les bobos intellectuels parisien mais aussi par le premier public concerné : les immigrés et enfants d'immigré. Sourires de Loup est aussi la critique sociale d'un modèle qui se veut multiculturaliste avec ses nombreuses failles, il serait peut-être temps de critiquer le notre grâce à l'art du roman.

Belva










Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire